Le bon goût des races anciennes
Par Sonia Moumen
La jeune femme irradie d’un bonheur paisible, à l’unisson avec ses gestes pour nourrir au biberon ses agneaux encore un peu faibles ou de ses rapports avec ses puissantes truies et leurs nouveaux nés d’à peine quatre jours. Il faut la voir saluer « les mamans » et leur apporter en guise d’offrandes les restes de table de la veille. De quoi faire un festin : des os et du gras de poule (gasconne) aux épices, du melon, de la mangue et surtout des lots de caresses, de roucoulades et de gratouilles. Les truies bavent d’allégresse, se pressent et s’ébrouent en soulevant des nuages de poussière terreuse. Isabelle rit de bon cœur « avec elles, c’est au moins deux lessives par jour ! » avant de poursuivre « en Aquitaine, on se situe dans le berceau de la race du porc gascon. Dans les années 1980, il n’en restait presque plus. Un programme de conservation a permis de sauvegarder la race ».
Pour la sauvegarde du porc gascon
Et si Isabelle n’était qu’une toute petite fille à cette époque, elle s’est largement mobilisée depuis. Outre son investissement dans le Conservatoire des Races d’Aquitaine, elle est depuis 2013 trésorière de l’Association Nationale de Sauvegarde du Porc Gascon. Un porc aux signes caractéristiques : une robe entièrement noire, un épi de poils drus sur le dos, de larges oreilles tombantes couvrant en partie les yeux, un poids plus qu’estimable avec 250 kg pour les femelles et 350 kg pour les mâles. Si l’esthétique du porc gascon est particulière, c’est surtout son goût qui fait des émules : une chair persillée et un bon gras, fruit d’une croissante lente en plein air. Isabelle a choisi de faire du cochon de lait qu’elle vend entre 6 à 8 semaines autour de 8 à 12 kg « à cuisiner c’est bête comme chou » et quand on lui demande pourquoi elle ne transforme pas les truies adultes, elle répond que « rien n’est simple quand on n’est pas dans une zone de transformation, comme au Pays Basque où toute la chaîne existe. Je vais tester mais il faudra sans doute que j’aille jusque dans le Gers pour abattre et transformer.» Isabelle n’est de toute manière pas pressée.
Pour la transformation de ses truies, elle a tout son temps, comme dans la vie en général, comme avant de devenir éleveuse dans un petit coin de Gironde coincé entre Bordeaux et la grande forêt des Landes. Isabelle, au regard clair et à la peau diaphane, est née au Kenya où sa mère travaillait à l’Ambassade de France, puis elle a connu la Somalie, la Hongrie « communiste », l’Irlande, le Canada avant d’atterrir à Nantes puis à Bordeaux. Études universitaires en biologie marine, spécialisation dans les courants et les éco-systèmes et le premier emploi arrive : une recherche sur la migration des anguilles en Aquitaine. Avec son Brevet d’état de plongée qu’elle avait passé un peu plus tôt, elle choisit d’enseigner la plongée sous-marine et de travailler au rayon spécialisé de Décathlon. Une expérience intense à laquelle elle met fin sans état d’âme « le commerce à cette échelle-là, ce n’était pas mon univers. J’ai un caractère entier.»
Le mouton landais comme au temps de Félix Arnaudin
Entre temps, la jeune femme a rencontré Michel Mouton, un universitaire qui a choisi de s’installer à Cestas il y a plus de 20 ans et d’y créer une petite ferme pour conserver des races anciennes et pour sa consommation personnelle. Ils se marient, font de la plongée un peu partout dans le monde et développent progressivement l’élevage. « On récupérait des troupeaux de brebis landaises en perdition ; des paysans qui arrêtaient ou qui travaillaient trop en consanguinité avec les bêtes.» Le mouton landais, c’est l’autre cheval de bataille d’Isabelle. « Au 19ème, il n’y a qu’à regarder les photographies de Félix Arnaudin, il y en avait des millions. C’est une race rustique qui sait valoriser les terrains pauvres comme la lande. Elles ont un petit côté ‘chèvres’. Le problème c’est qu’elles ne sont ni des brebis à lait ni des brebis à viande ! Il a fallu que je trouve un débouché.»
Ce sera l’agneau de lait vendu tendre à souhait à 7 ou 8 semaines. Et pour ses poules gasconnes qui vivent perchées sur la cime des arbres, la jeune femme a là encore trouvé son débouché, comme pour ses coqs qui ont largement batifolé autour de la ferme avant de passer à la casserole. « Ce sont des vrais coqs de compét. ! Ce n’est pas de la volaille à rôtir car la chair tient bien trop aux os ! Je les vends aux particuliers qui aiment les recettes à l’ancienne : le coq au vin, la poule au pot, les plats mijotés longtemps, en sauce. Pour ma part, je les prépare en choucroute, en tajine, en curry ». Et s’il reste quelques os à rogner, vous pouvez toujours les garder pour les cochons qui en feront volontiers leur goûter.
Ferme conservatoire du domaine de Jarry
Domaine de Jarry (visite sur rdv)
33610 Cestas
06 03 48 03 97
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.