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Patrick Glotin

Les mystères de la palombe
Par Laurent Croizier

Octobre s’installe sur les Pyrénées. Si la plupart des conifères conservent leur verte parure, le feuillage des autres arbres se teinte de nuances blondes et rousses. Et le froid gagne lentement sommets et plaines, porté par le vent. Le ciel, quant à lui, offre un singulier visage : au lent mouvement des nuages se superpose celui de milliers d’oiseaux migrateurs qui l’ornent de stries mouvantes et virtuoses. Quelques semaines durant, grues, oies, grives, palombes se succèderont inlassablement au gré des courants aériens.

De ce dernier volatile, Patrick Glotin n’ignore rien. Et pour cause ! Il a consacré à la palombe rien moins que son temps, son attention, son énergie, son affection… C’est le docteur Rocher — un médecin bordelais amoureux de l’oiseau — qui lui a transmis sa passion voici deux décennies. Aussi, entre Pays Basque, Landes et Béarn, Patrick explore, depuis cette époque, tous les circuits de migration de l’oiseau, tous les chiffres de l’évolution des populations, tous les modes de chasse pratiqués, toutes les recettes patiemment élaborées… Mieux, en 2000, il dédie au volatile un premier documentaire : Des palombes et des hommes. Deux autres suivront : Octobre bleu et Harneka, une maison au pays des palombes. Car le volatile ne se réduit pas à lui-même, il « raconte » les hommes, l’histoire et les coutumes d’un territoire.

Octobre donc. Heure de la migration… et de la chasse. Résolument proche de la nature, l’œil vif et malicieux, Patrick est un homme clairvoyant qui n’entend ni encenser cette pratique ancestrale ni fustiger le chasseur ! Car il sait que l’art cynégétique offre deux visages : celui, souvent odieux, de forcenés stupides abatant sans mesure ni conscience tout ce qui passe à portée de fusil, et celui de passionnés ne prélevant que peu de gibier et œuvrant avec acharnement à la préservation des paysages, des forêts, des lacs, de leur faune et de leur flore, face aux ravages dramatiques d’une agriculture industrielle qui n’en finit pas de nous empoisonner.

Les méthodes de traque de la palombe sont plurielles et souvent séculaires : à l’affût dans de cocasses cabanes armé d’un fusil, par l’usage d’appelants ou leurres disposés au sol, ou encore à l’aide de vastes filets se refermant sur les volatiles… Ainsi, parmi les différentes méthodes en usage, Patrick aime à évoquer l’une d’elles, fascinante : la chasse à la pantière. Probablement déjà pratiquée au Moyen-Age, celle-là, principalement basque, mobilise une trentaine de participants et s’opère sans arme à feu. Notre palombophile en détaille ainsi les contours :

« Nous arrivons sur les lieux vers 6h30. Il faut une heure pour dresser la pantière, sorte d’immense cage (7 ou 8 mètres de haut) en filets dont un des murs est ouvert. Le but est d’amener les oiseaux à entrer dedans avant que ne se rabattent sur eux les filets. Lorsqu’un vol se présente dans le ciel, l’action première est initiée par les lanceurs de raketas (objets en bois dont la forme évoque une raquette de ping-pong), lesquelles sont jetées à la main en direction des oiseaux. Leurrées, les palombes voient en ce projectile un autour menaçant et, afin de prendre de la vitesse pour échapper au pseudo-rapace, plongent vers le sol. Là, les chatars (rabatteurs singuliers) entrent en jeu. Equipés de drapeaux blancs, ils les agitent afin d’orienter le vol rasant en direction de la pantière ».

La complexité de l’opération rend les prises relativement rares. Mais lorsque la manœuvre est réussie, 50 à 80 individus sont capturés et l’émotion de la prise est intense. « C’est une chasse d’effrayement, non une chasse d’appel, de séduction ou d’amour, comme celle pratiquée ailleurs où l’on use d’appelants ou d’appeaux » précise Patrick.

Prisonniers de la pantière, de nombreux volatiles, intacts, seront bientôt vendus vivants pour servir précisément d’appelants dans les chasses landaises ; d’autres (évidemment non endommagés par les plombs) garniront demain l’étal d’exigeants volaillers ou la table des meilleurs restaurants*. Car, ne nous y trompons pas, la palombe est un mets d’exception qui se doit d’être respecté, choyé, adulé. Et à ce titre, elle mérite d’être préparée dans les règles de l’art. Comme le souligne le volailler Etienne Garat, l’affinage du produit a son importance : à peine tuée, sa chair est douce et délicate mais parfois ferme ; après dix à vingt jours de garde, elle devient fondante et se pare de saveurs puissantes et sauvages.

Patrick est affirmatif : si des dizaines de recettes existent, en réalité deux écoles culinaires s’opposent. La première recommande de choisir un volatile de l’année (reconnaissable à ses demi-plumes bleutées et ourlées à l’arrondi de l’aile, à son bec encore souple et à son collier non encore refermé), tendre donc, et de le faire rôtir brièvement afin de maintenir la chair saignante. Mieux, pour rendre l’oiseau plus goûteux et moelleux encore, certains usent du (parfois controversé) capucin — cône métallique préalablement chauffé dans la braise — que l’on emplit du lard des meilleurs jambons, lequel fond au contact du métal, et est copieusement répandu, liquide et flambant, sur la palombe préalablement salée et épicée.

« Ahhh, la palombe au capucin, merveilleux souvenir d’une table de Saint-Palais ! » lance Patrick, le visage illuminé par ce souvenir.

L’autre école, à l’inverse, prêche pour un volatile toujours jeune mais archi-cuit, quasi confit, concentrant ainsi les sucs et se laissant dévorer jusqu’aux os. Les palombes les plus âgées (aujourd’hui rares), elles, sont dédiées au salmis, ragoût rassemblant les diverses pièces du gibier cuites longuement et à feu doux dans du vin rouge agrémenté d’aromates (notons ici que dans un salmis « authentique », la viande est initialement rôtie, puis mêlée à la sauce au vin ensuite).

Superficiellement évoquée, insuffisamment connue, mal apprêtée ou maladroitement cuite, la palombe demeure banale… mais dignement racontée, filmée ou cuisinée affirme Patrick, elle emmène, à coup sûr, le gourmet dans un savoureux voyage au parfum d’automne !

Carnet d’adresses :

Pour les particuliers, on trouve la magnifique palombe chez
Etienne Garat – « L’aile ou la cuisse »
Maison Lorepean
64 250 Souraïde

Palombe crue, prête à cuire, de mi-octobre jusqu’à fin novembre :
Volailles Mayie
Halles, 64500 Saint-Jean-de-Luz
Téléphone : 05 59 26 67 99

Palombe en salmis, proposée une quinzaine de jours entre mi-octobre et fin novembre :
Boucherie Charcuterie Traiteur Curutchet
28, rue du Maréchal Harispe, 64500 Saint-Jean-de-Luz
Téléphone : 05 59 26 03 67

* De nos jours, la palombe que l’on trouve à la carte de restaurants provient parfois des chasses locales mais aussi d’autres pays d’Europe traversés au cours de sa migration (notons qu’avec les changements climatiques, elle a tendance à se sédentariser, notamment en Grande-Bretagne, devenue l’une des zones majeures d’approvisionnement).

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes

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