De l’informatique au maraîchage
Par Suzanne Boireau-Tartarat
Aux légumes citoyens : voilà des maraîchers qui affichent leur militantisme ! Bénédicte Nicolas a quitté son poste de consultante informatique en Belgique pour faire revivre une petite propriété du Haut-Périgord. Un engagement. Elle se penche sur la terre, vraiment, comme les paysans ne le font souvent plus. Bernard fait encore le grand écart entre Bruxelles et Saint-Sulpice d’Excideuil avant de lâcher le monde de la finullce et rejoindre son épouse dans un idéal de vie devenu réalité.
Le coup de foudre pour le Périgord date de 2009. « On voulait juste une maison de campagne, à rénover nous-mêmes. » Bénédicte est alors consultante en informatique dans le secteur de l’environnement pour les institutions européennes. « Un premier pas qui m’a permis de découvrir la campagne. J’avais du mal à revenir vers la ville et j’ai fini par vouloir changer de vie. » Des lectures et des rencontres plus tard, devenue végétarienne, elle se lance dans une formation à la ferme de Sainte-Marthe, en Sologne, chez Philippe Desbrosses, haut lieu de l’agriculture bio. « Une pause carrière de trois mois. Après quoi j’ai dit à Bernard que je ne reprendrai pas mon travail. » Il est d’accord pour décrocher avec elle, mais l’accès au foncier bloque leur recherche autour de Bruxelles.

Germe l’idée de s’installer dans leur ferme du Périgord. Bernard a trois enfants, issus d’une première union, il s’organise et choisit de faire les allers-retours chaque semaine. Il la rejoindra à 100% après cette « contrainte choisie ». Bénédicte lance sa première saison en 2013.

« La terre n’était plus cultivée depuis 5 ans et j’ai donc pu démarrer aussitôt en agriculture bio. » Un maraîchage intensif sur petite surface, gérable en solo et sans tracteur. « Je prépare bien le sol pour que la plante se débrouille ensuite, avec des apports de purins végétaux. Je suis ainsi plus occupée de mars à mi-juin pour le démarrage des semis : l’inverse de l’agriculture industrielle qui tue le sol et oblige à nourrir la plante. »

Le paillage permet de limiter le désherbage et de garder l’humidité. La diversité de cultures, les arbres fruitiers, les haies, le bois mort et la multitude d’insectes concourent à la gestion intégrée. Du pur bon sens paysan ! Et une sobriété heureuse, chère à Pierre Rabhi.
Inspirés par les théories du Québécois Jean-Martin Fortier, Bénédicte et Bernard savent qu’une petite surface est viable en misant sur l’association, l’organisation et la rotation des cultures. Sans machine, avec un puits et des réserves d’eau de pluie, ils récoltent 2 à 3 tonnes de légumes sur 1500 m2 de terre.

« Nos voisins paysans ont vu que nous conservions l’esprit de cette ferme. Quand j’ai démarré, un ancien, me voyant penchée sur la terre avec ma grelinette, m’a dit : « On en fait plus des comme toi ! ». Je sais qu’il respecte mon travail. »

Pourquoi des urbains, diplômés et garants d’une belle situation s’engagent-ils ainsi ? « C’est le fruit d’un long cheminement pour ne plus participer à une société qui détruit l’environnement autant que l’homme. » Un credo qui a donné le nom au projet. « On est tous citoyens, chacun est responsable du choix de ses achats. Comme Pierre Rabhi, je crois à la transmission par l’exemple plus qu’aux discours.» La démarche est pourtant longuement mûrie, fondée sur des lectures et des théories. « Des guides nous ont inspiré, mais l’expérience de terrain est irremplaçable. » Les saisons se suivent sans se ressembler. Bénédicte est agréablement surprise du faible décalage entre ce qu’elle imaginait et la réalité.

« Les nouveaux agriculteurs apportent d’autres pratiques dans ce métier grâce à leur expérience précédente — internet pour ce qui me concerne, le calcul de rentabilité pour Bernard. »

Logique de décroissance et simplicité volontaire
Afin de se consacrer le plus possible à sa terre, Bénédicte s’est organisée : elle lance un appel par mail à sa liste de diffusion et les clients composent leur commande à partir des légumes disponibles. Le retrait se fait le vendredi soir à la ferme. « Je livre aussi dans un rayon de 10 km ou à un point de dépôt à Thiviers. Nous sommes dans une démarche de circuit court et de contacts de terrain. » Avec 35 sortes de légumes — dont 16 variétés rien que pour la tomate, certaines jusqu’en novembre —, Bénédicte se fournit en variétés anciennes, dans le réseau des semences paysannes.

« Je suis à l’affût de variétés et de goûts insolites. »

Membre d’Agrobio Périgord, elle travaille sous forme associative. Elle aimerait proposer des séances pédagogiques pour éveiller les consciences, expliquer le cycle des légumes, montrer le travail humain et tout ce qui fait que cela a un juste prix. Elle souhaite aussi développer sa ligne d’épicerie fine. « Une vingtaine de références de chutneys, confits, coulis et tartinades, que nous vendons en même temps que les légumes. » Du 100% végétal et bio, sans certification, pour plus de souplesse.

Démarrer une autre vie et apprendre encore, rester humble face à la puissance de la nature, libérer son esprit sur le mode « je cultive, donc je pense », Bénédicte savoure l’échange d’énergie avec la terre, dans une méditation active. Style, rythme et cadre de vie n’ont pour elle pas de prix. « Si je travaillais pour l’argent, je serais restée à Bruxelles. Mes amis soulignent mon courage, mais je trouve que ce sont eux qui ont du courage pour rester ! »  

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes

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