Le royaume des oies
Par Emilie Dubrul
Sur les coteaux boisés du Haut Agenais, entre les bastides de Monflanquin et de Monpazier, Christine Daulan Pommier élève des oies et des canards en plein air. Sur un parcours joliment tracé par des haies naturelles, l’agricultrice nous fait partager sa passion et découvrir son métier « qui respecte autant l’environnement que l’animal et garantit la qualité des bons produits de terroir ».
«Ici, l’oie est reine » annonce d’emblée un des premiers panneaux qui ponctuent le Sentier Découverte. Muni d’un petit dépliant, la balade de 45 minutes s’annonce ludique et très enrichissante : tables d’observation, devinettes et autre « main dans le sac ». C’est un jeu de l’oie grandeur nature que Christine Daulan Pommier a imaginé sur son exploitation. Au loin, au centre d’une vaste prairie de graminées qui fleure bon la menthe sauvage, un troupeau d’oies se promène en rangs serrés dans un joyeux cacardement. « Avant tout, oubliez les clichés. Les oies sont des oiseaux très sympas, loin de l’image de créatures agressives et mauvaises. C’est un animal de troupeau à l’instinct grégaire, curieux et très sociable, qui se domestique facilement. C‘est appréciable lorsqu’il faut conduire le groupe d’un endroit à un autre » raconte Christine devenue chef d’exploitation agricole et grande spécialiste des anatidés.
Dans une autre vie, Christine était chimiste au CNRS, après quelques années en tant que chercheur. « C’était il y a 16 ans. J’avais 32 ans. C’est mon mari qui a pris l’initiative de s’orienter vers l’agriculture. Il a suivi une formation et au final, c’est moi qui me suis retrouvée en place dans l’exploitation. Ça c’est fait comme ça. Assez naturellement.» Lorsque le couple acquière cette ferme du XVIIIème siècle à l’abandon depuis une vingtaine d’années, de gros travaux de rénovation les attendent : maison d’habitation, granges, séchoir à tabac, clôtures, haies et bosquets, tout est à faire. Aujourd’hui, sur 17 hectares de la propriété, 8 hectares et demi de prairies et des champs de céréales ont été spécialement aménagés autour des bâtiments pour le bien être des volailles. L’ancienne étable abrite désormais un parc couvert pour les oies, un espace de gavage et le laboratoire de transformation de Christine.
Des brebis aux volailles
Au départ, le couple pense se lancer dans l’élevage de brebis, mais opte finalement pour l’élevage d’oies et de canards. « Un jour nos voisines nous on rappelé que le canard avait toujours fait parti du paysage agricole de Lot-et-Garonne avant de disparaître. A l’époque, lorsqu’il y avait des mauvaises récoltes, la vente de foie gras et confits permettait de rentrer des sous en fin d’années. Elles nous ont fourni nos huit premières oies puis nous ont appris la technique du gavage traditionnel. L’année suivante, nos premiers lots d’oisons sont arrivés. Avec le recul c’était le bon choix, car nos oies sont parfaitement adaptées à ces terres de coteaux.»
Buffet bio à volonté
A la ferme de la Thoumaze, différentes espèces d’oies coexistent. Christine élève des oies de Toulouse et des oies des Landes pour le foie gras, des oies blanches pour leur viande savoureuse. On trouve aussi quelques oies de Guinée, du Rhin ou d’Egypte qui sont les nourrices de la basse cour. Au printemps, elles prennent naturellement en charge les oisons à peine arrivés, les éduquent et les protègent des rapaces. La ferme produit environ 150 oies et 200 canards, qui vivent en liberté toute l’année. « Nos oies, de l’âge de 15 jours à la fin du gavage sont élevées sur l’exploitation. Ce qu’elles aiment, c‘est avoir de l’espace, de la verdure, de l’eau et des céréales à volonté. Elles consomment essentiellement l’herbe de prairie qui leur est réservée et les céréales que nous produisons excepté le maïs. L’oie et le canard ont besoin de picorer, de gratter la terre c’est pour ça qu’ils vivent en liberté.» Naturellement sélectives dans leur nourriture, les oies sont des désherbants naturels. Ici pas de pesticide, ni d’herbicide. Elles font tout le travail. « Ce sont des conditions idéales pour qu’elles grandissent bien et donnent de la viande de qualité.»
Le gavage, un besoin naturel saisonnier
La visite se poursuit dans l’atelier. Chez Christine, le gavage se fait à l’ancienne, à la main, en respectant le rythme biologique de l’animal, du début de l’automne à la fin du printemps. Pour un oiseau migrateur, le gavage est quelque chose de naturel, d’instinctif. Si l’oie domestique ne migre plus, elle a tout de même gardé de son ancêtre l’oie cendrée ce besoin et cette capacité à s’engraisser. « Dès la fin août, les jours raccourcissent, les nuits rafraichissent et on s’aperçoit que les mangeoires se vident deux fois plus vite que d’habitude poursuit Christine. L’horloge interne des oies leur annonce l’arrivée de l’automne et avec lui la saison migratoire. En fait le processus physiologique se met en place. Bien que nos animaux aient été domestiqués, ils gardent malgré tout ce besoin de faire des réserves.»
Fin septembre, début octobre, les nouvelles oies ont atteint 4 mois, c’est à dire l’âge adulte. Le processus physiologique étant bien installé, les séances de gavages peuvent alors commencer : Par lot de 45, les premières volailles éliront résidences à l’abri dans la grange. Pendant 4 semaines, à raison de 3 séances quotidiennes, elles seront soumises à un régime privilégié riche en glucides et en amidon, idéal pour la transformation du foie. « Le maïs que nous utilisons est une variété ancienne qui offre moins de rendement mais est parfaite pour le gavage traditionnel.» Une variété avec un grain petit et rond que Christine va tout d’abord réhydrater puis chauffer afin qu’il glisse facilement dans le jabot sans risquer de blesser l’animal. « Après une petite séance de massage du cou pour faire descendre le grain jusqu’au gésier, les oies libres de leurs mouvements peuvent même s’offrir une balade digestive » continue-t-elle, amusée.
Rien ne se perd, tout se transforme
Au bout de 4 semaines, le foie est bien développé, Christine peut alors passer à l’abattage. « Ce n’est pas la période la plus facile de l’année mais il faut le faire » confie-t-elle à mi-mot. Puis c’est l’étape de la transformation. « La transformation doit se faire le jour de l’abatage car le foie est un produit fragile. Une foie récupéré, je les sale, les poivre et les mets en verrine. C’est ce qu’on appelle le foie gras entier, alors que le foie gras, ce sont plusieurs morceaux de plusieurs foies enfermés dans un récipient.» Et n’allez pas lui parler des blocs de foie gras inventés par les industriels ! « Les chutes moi, j’en fais des pâtés, des rillettes, des cous farcis. Avec une salade verte, c’est divin !» Le lendemain, c’est au tour de la carcasse de passer à la casserole. La viande sera hachée et la graisse fondue pour y confire les plus beaux morceaux d’oie ou de canard. « Pour avoir l’appellation Confits, il faut que l’animal ait donné du foie gras et que la viande ait séjourné dans le sel, ce qui va permettre d’extraire l’eau de la viande et donner ce goût et cette texture si particulière. » Foies gras entier, magrets, salmis, axoas, saucissons ; autant de produits cuisinés dans les règles de l’art, qui font la renommée de cette superbe ferme d’élevage aux accents d’autrefois.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.