L’homme qui voit la volaille en grand
Par Sonia Moumen
Ferme de Vertessec. En plein cœur du vignoble médocain. C’est ici, entre lande girondine et vignes prestigieuses que depuis 1973, Michel Petit, élève sa volaille. L’homme n’est pas grand, mais qu’à cela ne tienne, il voit grand. Et la grandeur pour lui, ce n’est pas de faire de la quantité. La quantité, il la laisse aux autres. C’est de faire de la qualité.
Il n’y a qu’à traîner un peu dans sa coquette boutique et arpenter ses 50 hectares de landes et forêts pour comprendre que la qualité passe d’abord par un sens presque maniaque du détail. Dans le choix des variétés de poules d’abord. Et à Michel Petit, il ne faut pas lui en raconter
« Ce n’est pas parce que c’est ancien que c’est bon » aime-t-il répéter.
L’ancienne race locale de la poule gasconne ? Il plisse les yeux, un tantinet méfiant : « gustativement, je demande à voir ». Et puisque aucune race ne préexistait vraiment dans le Médoc -« à part le pinard, ici, on n’a rien » – , Michel Petit a choisi de faire ses propres croisements et de donner naissance à celles qu’il a baptisées La Dorée de Vertessec et la Cousine de Vertessec.
L’air canaille, la mine rieuse, l’homme volontiers intarissable soudain se tait : non, il ne livrera pas ses secrets. A peine apprend-t-on que gambadent sur ses terres des Limousines, des cou-nus des Faverolles. Pour la Faverolles, cette volaille à chair blanche originaire d’une petite commune du même nom dans le Cantal, il veut bien détailler un peu : « Elle est connue pour être la plus belle race française et la meilleure ! Les gens ne sont pas très habitués ici, mais quitte à travailler de la blanche, je préfère la Faverolles au poulet de Bresse ». Et tout de suite de préciser « attention, je ne critique pas ! ».
Préserver l’esprit de famille
Pas de temps à perdre avec la critique en effet, Michel a bien assez à faire avec ses 1200 à 1300 volailles abattues tous les mois. « On abat sur place, le mardi. On attrape les bêtes vers 3-4 heures du matin. On débute à 7 heures, elles ne sont pas stressées. On vide à la main. Quand arrive le week-end, la viande est reposée, bien détendue ». C’est que la Ferme de Vertessec met un point d’honneur à maintenir une qualité constante, celle qui a fait venir à elle les grands chefs et les clients fidèles. Le succès arrivant, Michel Petit aurait pu perdre un peu de l’esprit de famille qui souffle sur ces terres depuis 1620 ! Même si pour lui, c’est en 1973 que tout a commencé.
Il a alors 17 ans. Ses parents possèdent une exploitation forestière, quelques vaches et quelques poules. Il aurait pu prendre la suite ou entrer dans la poudrerie toute proche, mais décide de faire quelque chose par lui même, d’être indépendant : ce sera la volaille en liberté. Une décision née le jour de ses 17 ans ? Pas tout à fait, car en grattant un peu, il finit par confier que petit, il élevait chaque année un poussin confié par sa grand-mère et qu’il regardait avec bonheur les poulardes grandir et « prendre un coup de gras »… « J’ai commencé sans savoir où j’allais les vendre. Mon père m’a dit « si c’est bon, tu n’as qu’à mettre un panneau au bout de l’allée et tu vendras ».
De l’élevage traditionnel à la transformation haut de gamme
Plus de quatre décennies plus tard, le panneau est toujours là, le Collège Culinaire de France a labellisé la Ferme de Vertessec Producteur Artisan de qualité et dix personnes travaillent sur l’exploitation, dont l’épouse de Michel, des neveux et leur fils Alexandre. Alexandre, diplômé de chez Lenôtre, a ouvert une boutique à Paris en 2013 et introduit une transformation très haut de gamme des poules, poulardes, chapons, canards et autres volailles en rôtis, terrines, pâtés, foies gras, jambon de volaille « 18 heures de cuisson ! Aucun ajout si ce n’est du sel, du poivre, des épices. Magnifique ! ».
« Mon fils a apporté sa touche comme moi je l’ai fait en mon temps. Il réfléchit au développement d’une gamme de produits cuisinés en frais et sous-vide et voudrait revenir sur l’exploitation ». Si le fiston est devenu le spécialiste de la transformation, le papa revendique d’être celui de l’engraissement et de la finition : « on cherche que la viande soit persillée, que le gras pénètre dans les chairs. Je peux aller jusqu’à 22 semaines d’élevage, cela dépend, ce n’est pas réglé comme du papier à musique ! ». Ce qui est réglé comme du papier à musique en revanche, c’est la manière de manger le fameux poulet : toujours le dimanche. En famille. Rôti au four avec des pommes de terre tout autour. Et Michel Petit de s’étonner : « Et comment voulez-vous qu’on le mange autrement ?».
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.