La vie en roses
Par Suzanne Boireau-Tartarat
Monia Clément a voulu changer de vie pour en maîtriser plusieurs en une. Formée au marketing et issue de la sphère pharmaceutique, cette fille du nord est arrivée en Périgord en passant par la Corse, où elle a découvert l’art de distiller. Elle a repris une propriété agricole traditionnelle pour la convertir en bio, l’originalité en prime : son champ de roses de Damas, à Monestier, embaume son tempérament, à la fois doux et tenace. Ses eaux florales sont utilisées en cosmétique comme en alimentation.
Son BTS Action commerciale en poche, avec une spécialisation dans l’industrie pharmaceutique, a d’abord conduit Monia vers l’univers cosmétique. Bien loin des valeurs bios qui l’animent aujourd’hui. Puis cap sur la Corse et rencontre avec des productrices de plantes aromatiques : elle vient de passer un CAP d’esthéticienne et utilise leurs huiles pour ses mélanges de massages. « C’est alors que j’ai appris que la propriété de Monestier, à la limite entre Dordogne et Gironde, qui appartenait à ma famille, était à vendre… » Une ferme de onze hectares, dont trois de vignes et le reste en prairie.
« Depuis la Corse, j’ai préparé mon projet de création d’activité agricole. Mon vœu le plus cher allait se réaliser : maîtriser toute la transformation, depuis la production végétale. »
Monia passe alors son BEP horticole au lycée agricole de Périgueux, première à s’y lancer avec un projet d’eaux florales. « J’alternais les cours et les stages chez des producteurs de plantes aromatiques, dans l’Aude… Des passionnés, qui m’ont transmis l’essentiel du métier et qui me guident toujours. » Isolée géographiquement, seule à bord pour assurer tous les postes, Monia apprécie ce lien durant le long processus d’installation lié au statut de jeune agriculteur. Agrobio Périgord la soutient aussi avec des formations techniques. « Très important quand on se lance seule dans l’inconnu ! » Elle démarre en 2009 avec du maraîchage et de la vigne, en attendant que ses porte-greffes et ses plants soient prêts. 2 900 pieds de rosiers sont plantés en 2010 sur un hectare et demi.
Les ailes coupées en plein envol
« La rose de Damas est une espèce ancienne, très odorante, avec des principes actifs particuliers. »… que les chevreuils ont été les premiers à découvrir, puisqu’ils ont en partie mangé sa première récolte. Une installation de fils électriques plus tard, le cru 2011 se présente bien. Mais Monia voit ses ailes coupées en plein envol : la jument avec laquelle elle travaille dans les rangs s’affole, se cabre et lui retombe dessus. Trois fractures du bassin. Arrêt de huit mois.
« J’ai pu mesurer la solidarité d’autres agriculteurs. Mais j’ai aussi enduré des coups bas de la part de certains : ce monde n’est pas tendre avec une jeune femme qui se lance, surtout en bio.»
Monia s’accroche et résiste. « Soit on lâche tout, soit on continue pour soi et pour les siens. » Au moment de l’accident, la récolte et la distillation sont faites, la production peut se conserver grâce aux principes actifs contenus. La jeune femme va tout juste mieux lorsqu’elle se penche sur la taille et la récolte suivante. Elle se remet au travail et fait face aux difficultés financières. Malgré les aides reçues, son entreprise fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, qu’elle assume encore avec détermination, sur dix ans. « Agrobio Périgord et la Confédération paysanne, dont je suis membre, m’ont beaucoup aidée. Et le Club des entreprises 24 a lancé un parrainage de mes rosiers en 2013 pour renflouer ma trésorerie. » Elle se bat au quotidien, depuis, pour redresser l’entreprise, sans perdre de vue ses deux enfants, Valentin et Lolla. « Après la cosmétique, j’ai eu envie de développer une gamme alimentaire. J’ai rencontré le chef étoilé du château des Vigiers, à Monestier, qui m’a aidée à mettre au point la gelée de rose, que j’ai envie d’enrichir avec un vin blanc moelleux. Servi avec un foie gras ou un fromage de chèvres, c’est remarquable. » Le sirop de rose est idéal dans des cocktails. Avec un vin pétillant, tout simplement, ou des combinaisons plus complexes. Avec son ami David Quasimodo, qui a vendu son restaurant à Bergerac pour partager l’aventure bio de Monia, ils ont imaginé un nougat à la rose, des guimauves et une liqueur, toujours à partir de roses macérées.
Une femme engagée
La dizaine de produits de la gamme des Douceurs de Lolla est disponible dans les Biocoop, Vie claire, chez des indépendants, sur les foires et marchés, et sur son site internet. Forte des cours qu’elle avait suivis aux Beaux-Arts, à Cambrai, lorsqu’elle voulait devenir styliste, Monia a entièrement revu le packaging, le logo et les étiquettes. Tourisme oblige, elle a repris des cours d’anglais. « J’ai acquis le vocabulaire technique pour expliquer les bases de mon savoir-faire. » La voilà prête pour son projet de boutique à la ferme, où elle espère développer l’accueil de groupes, en se plaçant sur les circuits de visite de l’Office de tourisme.
Monia veut aussi poursuivre son engagement auprès d’Europe Écologie les verts, mouvement qu’elle a représenté aux élections départementales de 2015. « Ce n’était pas dans mon plan de carrière, mais c’était passionnant. » Elle continue à vivre intensément toutes ses vies en une, agricultrice, laborantine, designer, commerciale, comptable, relations publiques… « Le métier d’agriculteur ne laisse plus le choix, il faut être bon en tout. »
Les douceurs de Lolla
« Les Martins »
24240 MONESTIER
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.