200.000 bêtes à cornes
Par Suzanne Boireau-Tartarat
Béatrice et Pierre Fouquet sont à la tête d’un troupeau de 200 000 bêtes à cornes. Un voisinage tranquille, idéal. Les escargots de la propriété des Guézoux, à Vaunac, sont habitués aux visites, car le couple d’héliciculteurs s’est ouvert à l’agrotourisme pour faire partager ses connaissances sur l’animal. Les producteurs fréquentent aussi les marchés fermiers pour faire découvrir leurs recettes festives, qui changent du traditionnel escargot farci.
Nous cheminons sur les petites routes du causse de Sorges, avec son musée de la truffe et ses marchés dédiés à la précieuse « mélano », non loin de Thiviers, avec son musée du foie gras et ses marchés primés, pour arriver aux Guézoux, à une allure à peine plus vive que celle des gastéropodes qui nous attendent sagement à l’arrivée. Dans la salle d’accueil, Béatrice et Pierre Fouquet ont rassemblé une collection d’objets hélicoïdaux, des jeux d’enfants façon cagouille, des panneaux explicatifs sur l’élevage et la transformation de l’escargot. Véritable mascotte du lieu, l’animal est aussi sa principale ressource.
Tout commence en 1991. Enfant de la terre et jeune diplômé d’agronomie, Pierre Fouquet cherche une filière où il peut maîtriser sa production de A à Z, notamment la traçabilité, même si on parlait encore peu de sécurité alimentaire à l’époque. L’escargot fait doucement son chemin dans son esprit : peu de contraintes d’élevage, un investissement de départ raisonnable et, Périgord oblige, la possibilité d’élaborer une gamme gastronomique. Les indicateurs sont alors prometteurs puisque la France, qui en consomme chaque année 15 000 tonnes, n’en produit que 4 500 et importe le reste de Grèce, de Turquie et d’Indonésie. Ce contexte favorable incite donc Pierre Fouquet à s’installer.
Avec Béatrice, au fil du temps, ils ont choisi de maintenir un élevage à taille humaine, avec une production de deux tonnes, pour s’accorder le plaisir d’exercer plusieurs métiers en un seul : l’élevage, l’élaboration des recettes de plats cuisinés et la vente directe toute l’année. Depuis 2003, chaque été, ils proposent de très conviviales soirées avec visite et dégustation. Agriculteurs adhérents à Bienvenue à la ferme, les Fouquet font découvrir, au rythme des saisons, les phases de reproduction, de ponte et d’éclosion, de croissance des escargots dans les parcs naturels.
Renouer avec un plat ancestral
« On les consommait autrefois parce qu’on les trouvait facilement et que c’était un plat peu onéreux. Puis on les a oubliés. »
Les petits gris ne courent plus nos campagnes depuis les années 1990 à cause de l’usage croissant des pesticides. Le couple Fouquet invite à renouer avec une consommation ancestrale puisqu’on a retrouvé des coquilles d’escargots dans les grottes préhistoriques, on sait que les Gaulois en raffolaient et que les Romains les élevaient déjà avec de l’eau et des farines. L’Inra s’est penché sur les techniques d’élevage de l’escargot à partir de 1975. « On maîtrise désormais les systèmes d’irrigation et les bases d’alimentation, et surtout la reproduction des hermaphrodites. » L’escargot hiberne naturellement jusqu’à cinq degrés, pendant dix-huit mois. L’éleveur puise dans ce grand dortoir, à la demande, ce qui permet une grande souplesse de transformation. Les animaux sont cuisinés après une semaine de jeûne et seulement deux minutes d’ébouillantage. Béatrice et Pierre Fouquet les transforment dans leur laboratoire et ont trouvé bien des manières de les accommoder. Sur la base de préparations traditionnelles, escargots farcis à la bourguignonne (pur beurre, ail, échalote et persil), ils ont conçu des croquilles (même la coquille se mange), des feuilletés de quatre sauces assorties (roquefort, tomate, forestière, bourguignonne), des choux et des tapas pour l’apéritif, des terrines en entrée. Les plats cuisinés en sauce (à la bordelaise, aux pleurotes, à la périgourdine ou encore aux poireaux) sont à essayer avec des pommes vapeurs, du riz ou des pâtes. Treize recettes, dont le très étonnant escargot confit, pour remplacer les gésiers dans les salades, font découvrir une cuisine vraiment festive.
Tout doucement
L’héliciculture reste marginale dans le paysage du Périgord, qui ne compte que trois producteurs. Après s’être longtemps déplacé pour vendre en direct dans des galeries marchandes de la région parisienne lors de périodes de fête et sur des salons gastronomiques, le couple s’est recentré sur le Périgord.
« On n’avait plus envie de s’éloigner presque deux mois de l’exploitation : on a vraiment fait le choix de vivre à la campagne. Dès le début, nous ne voulions pas aller vers une logique productiviste : le temps nous donne raison. On a trouvé notre point d’équilibre. »
Ils exposent plutôt lors d’animations locales – balades gourmandes proposées par l’office de tourisme ou marchés nocturnes de Sorges – et vendent tout aussi bien. La propriété bénéficie d’une belle notoriété et c’est la clientèle qui vient désormais à domicile, notamment l’été et en fin d’année. Les restaurateurs locaux sont aussi devenus de bons clients : ils cuisinent l’escargot à leur façon et contribuent à mieux faire connaître cette autre spécialité du Périgord.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes