
Dans cette pointe du Médoc, les paysages sont inouïs. Un entrelacs de marais, de digues et de canaux sillonne ces terres plates façonnées par l’estuaire de la Gironde d’un côté, l’Atlantique de l’autre. Là-bas, Bertrand Iung affine des huîtres dans sa ferme aquacole située à Saint-Vivien-de-Médoc depuis 1989.
Quel est le principe d’une ferme aquacole ? « Je me définis comme un jardinier de la mer, répond Bertrand. J’élève des huîtres dans des marais maritimes. Ces terrains argileux fermés, construits en bordure d’estuaire, se vident et se remplissent au moyen d’écluses. La maîtrise de ces masses d’eau renouvelées en permanence produit du phytoplancton, qui est propice au développement des huîtres. »

Changement de saveur, de couleur, de grosseur
D’un air gourmand, Bertrand parle même d’une « soupe de phytoplancton » dans laquelle il immerge les jeunes huîtres, pour une durée comprise entre 6 semaines et 6 mois. En se nourrissant des petites algues colorées, les coquillages vont changer de saveur. En effet, l’eau des bassins fermés étant salée mais pas iodée, l’huître va acquérir un goût de noisette aux tonalités plus végétales.
Et ce n’est pas la seule transformation ! L’affinage concerne également la verdeur de la chair, caractéristique des huîtres élevées au contact d’une microalgue, au doux nom de « navicule bleue ».
Enfin, la dernière étape de l’affinage est l’engraissement. Les huîtres de l’estuaire sont très charnues, un paramètre qui se mesure par un indice de chair particulièrement important par rapport à la coquille.
« Ces huîtres répondent à une tendance, elles sont recherchées par les chefs et les consommateurs », constate Bertrand avec satisfaction.
Car on peut les croquer ou les travailler en cuisine, quitte à n’en manger que 6 à la place de la douzaine habituelle. » Si le coefficient poids chair/coquille est inférieur à 10,5, l’huître est dite « fine ». Pour un ratio compris entre 10,5 et 18, elle devient « spéciale ».
Atlantique vs Méditerranée : le muscle l’emporte !
Ce n’est pas un hasard, ni seulement une histoire de proximité, si les huîtres affinées dans les marais médocains proviennent d’Arcachon. Comme le note Bertrand, « il y a une réelle complémentarité entre les ostréiculteurs du Bassin et nous, car les huîtres de l’Atlantique sont habituées à résister aux assauts des marées quotidiennes ; elles sont bien plus musclées que leurs homologues de Méditerranée, élevées sur l’estran. Leurs coquilles sont très creuses, ce qui est intéressant pour nous qui recherchons l’engraissement ».

L’affinage sur les bords de la Gironde a pourtant bien failli ne pas voir le jour, malgré l’implantation de l’huître sur l’estuaire attestée dès l’Antiquité. « Jusqu’en 1970, les Médocains vivaient de cette activité mais il y eut un arrêt brutal suite à l’aménagement industriel de la Pointe de Grave. La zone était classée impropre à l’élevage de coquillages. Puis à partir des années 80, l’État nous a permis de mener des expérimentations. En 1989, j’ai créé 17 hectares de parcs à huîtres et à gambas avant d’avoir enfin l’autorisation officielle de les exploiter en 2014. Entretemps, des études universitaires avaient démontré que nos huîtres étaient parfaitement consommables. Désormais, nous sommes 6 affineurs dans le Médoc.»
Bertrand vend ses huîtres directement sur place, il fournit des restaurants et va sur les marchés. Il participe également à des foires, salons ou événements, des occasions pour, dit-il « changer d’endroit, rencontrer de nouvelles personnes, c’est très plaisant ». La monotonie n’est pas son fort ! « Chaque année, je dois adapter mes méthodes d’exploitations aux aléas climatiques. Il fait trop chaud, il pleut trop, il y a trop d’eau ou pas assez… c’est cette diversité qui me fait vibrer ! »

Des moutons sur le polder
Contrairement à d’autres ostréiculteurs girondins, les parcs de Bertrand sont installés sur la terre ferme… qui ne l’a pas toujours été ! « Nous sommes sur le polder médocain, des surfaces gagnées sur l’eau il y a plus de 300 ans », explique ce jardinier de la mer qui érige des digues en terre pour délimiter ses bassins d’affinage. Leur entretien naturel est effectué par un troupeau de moutons. Quant à l’utilité de ces marais maritimes, Bertrand se montre intarissable : ils protègent contre les inondations, captent le carbone, favorisent la biodiversité et assurent une fonction de lagunage grâce à la filtration des eaux par le phytoplancton.
« C’est un endroit incroyable, une nature riche et changeante. Il faut venir le découvrir en automne, quand les brumes du matin se lèvent sur l’estuaire… »

Ferme Eau Médoc – Gigas Meduli
1 La Petite Canau, 33590 Saint-Vivien-de-Médoc
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