
Retour temporel au 20e siècle : en 1975, le premier choc pétrolier ébranle les exportations de Cognac. Gilles Merlet, viticulteur en Charente-Maritime, souhaite alors trouver d’autres débouchés pour diversifier sa production. Après quelques recherches, il se tourne vers le cassis, totalement inconnu dans la région.
« C’est vrai, il y avait tout à inventer, reconnait Gilles Merlet, intarissable lorsqu’on le lance sur ce sujet, et toujours aussi passionné par cette culture ! Le cassis n’aime pas les sols calcaires. Or, à Saint Sauvant (17), nous avons des terres silico-argileuses qui lui conviennent parfaitement. » OK, ce prérequis étant validé, restait à savoir comment allait s’acclimater cet arbuste qui pousse traditionnellement plus au nord ? « Je suis parti à l’INRA d’Angers pour rencontrer le seul chercheur français qui travaillait sur le cassis, et il m’a tout expliqué. »
Le fruit qui aimait le froid
La plante, haute d’environ 1 mètre, fleurit au printemps. Puis apparaissent les grappes de fruits, récoltées début juillet. « Tout se joue pendant l’hiver, car c’est le froid qui agit directement sur la création de grappes. Si les températures ne sont pas assez basses, la production sera moins bonne. Or, en Saintonge, nous sommes à la limite sud pour cette culture », explique Gilles, qui a une théorie personnelle sur cette acclimatation : « À mon idée, le cassis doit faire des efforts pour avoir des fruits ici, car il a un peu chaud, et du coup, nous avons de belles baies petites mais très denses, qui donnent une crème de cassis exceptionnelle ! »



Le cassis, c’est à Dijon…
Lorsqu’il décida de se lancer dans cette culture en 1977, Gilles embarqua 4 autres collègues dans cette innovation. Le facteur déclenchant fut la possibilité de mutualiser une machine à vendanger toute neuve pour ramasser à la fois le raisin et le cassis. Après des premières récoltes mécaniques concluantes, l’aventure du cassis de Saintonge put se poursuivre. Du cassis de Saintonge, vraiment ?
« On m’a dit que j’étais fou, que le cassis c’était à Dijon, point. J’ai tenu bon, en faisant le pari de la qualité. »
Ce choix passe par une sélection de variétés haut de gamme au rendement plus faible. Le Noir de Bourgogne, le Royal de Naples ou le Géant de Boscop ne donnent « que » 3 tonnes à l’hectare, mais leurs baies sont chargées de promesse.
Ensemble, les producteurs pionniers décrochent l’Indication Géographique* IG Cassis de Saintonge en 2015, la 3e française aux côtés de celles de Dijon et de Bourgogne. Le terroir va de Rochefort à Jarnac, et de St Jean d’Angely aux frontières nord de la Gironde. Dans la fiche technique officielle, les caractéristiques organoleptiques de l’IG Cassis de Saintonge mentionnent « un fruit très intense à la fois au nez et en bouche. Des notes de fruits rouges, de menthe fraîche, de coriandre ou d’épices complètent souvent la diversité aromatique du produit. »
L’IG Cassis de Saintonge représente aujourd’hui une production de 45 hectares. Insuffisant, selon Gilles, qui souhaite planter de nouvelles parcelles, sachant qu’il faut attendre 3 ans pour obtenir une récolte.

Distillation ou macération ?
Qui dit cassis dit forcément un célèbre apéritif à base de crème de cassis et de vin blanc ! « Le kir est en fait une marque enregistrée à Dijon, mais elle est passée dans le langage courant », précise Gilles qui, pour sa part, apprécie la variante réalisée avec du vin rouge appelée « communard » ou « chanoine ».
Rejoint par ses deux fils qui travaillent également sur l’exploitation, Gilles transforme une partie de la production pour commercialiser la précieuse liqueur. Multirécompensée dans de nombreux concours nationaux et internationaux, leur crème de cassis est élaborée par macérations successives, et non par distillation. Au départ, les baies marinent dans l’alcool. « Au bout d’un mois, nous procédons à un premier soutirage, pour obtenir un jus chargé en arôme. Nous le laissons encore infuser dans un mélange hydroalcoolique neutre pendant 2 mois afin de bien faire ressortir tous les goûts, on soutire à nouveau, puis on presse cette troisième infusion. Nous ajoutons ensuite du sucre et nous assemblons pour créer différentes gammes de crèmes de cassis. »

Caractérisé par son acidité et sa profonde couleur violette, le cassis a toute sa place en pâtisserie, en sorbet, ou pour inspirer les mixologues actuels, qui inventent sans cesse de nouveaux cocktails. Mais Gilles voit plus large :
« C’est un fruit peu chargé en sucre et riche en antioxydant. Les chefs cuisiniers devraient s’y intéresser davantage. En clafoutis ou avec un magret, c’est excellent… »
Message reçu : il reste de belles histoires gastronomiques à écrire -et à savourer- avec le Cassis de Saintonge !
* Pour les spiritueux, liqueurs, on parle du label IG (Indication Géographique) et non d’IGP (Indication Géographique Protégée) = originaire du territoire d’un pays, lorsqu’une qualité, réputation, ou autre caractéristique déterminée de la boisson spiritueuse peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.