Canard gras au plus haut des cieux
Par Laure Espieu
Le foie gras n’est pas une affaire avec laquelle on plaisante dans le Sud-Ouest, et à 28 ans, Julien Lafenêtre accorde à ce produit haut de gamme le sérieux qu’il mérite. Dans la ferme familiale, au cœur des Landes, cette terre d’abondance où les migrateurs aiment faire étape, il distille sa bonne humeur et sa compétence à toutes les étapes du processus.
Dans la conserverie flotte encore une odeur douce et sucrée. L’automne approche, les figuiers ont beaucoup donné, le temps est à la préparation de la marmelade qui viendra subtilement relever le goût de quelques foies gras. La ferme tourne encore au ralenti, le gavage s’apprête à commencer. Les pots sont prêts, et d’ici deux semaines, les jeunes canetons qui gambadent à l’ombre des maïs rejoindront les parcs collectifs pour être engraissés à la manière traditionnelle.
« C’est le canard qui commande »
Julien, jeune agriculteur de 28 ans, s’active. Bientôt ce sera l’effervescence. Avec la récolte du maïs, seront engraissés les premiers canards. C’est une période de travail intensif, qui se clôturera avec les foires et les marchés de Noël. Située à Doazit, dans la campagne Chalossaise, la ferme est une toute petite exploitation sur laquelle travaillent cinq personnes. 16 hectares sont consacrés à la culture, et la totalité du grain est utilisée pour l’élevage de 240 mulards en roulement. Les palmipèdes arrivent à l’âge d’un jour et passent leurs trois premières semaines dans des bâtiments chauffés, à l’abri des éléments, avant de découvrir les coteaux durant les 11 semaines suivantes. Après cette expérience de pleine nature, il leur reste 15 jours pour faire du gras, regroupés dans une salle dédiée et équipée. Le gavage, c’est l’affaire de Julien avec son père Eric : à la main, deux fois par jours, avec une base de grains entiers comme le faisaient autrefois ses grands parents.
« C’est une méthode traditionnelle qui n’a pas varié, explique le jeune fermier. Derrière, il y a tout un état d’esprit. On est constamment à l’écoute du canard, on lui parle, on le caresse. C’est lui qui commande, pas nous. Le respect de l’animal est primordial, car pour avoir un beau foie gras, il ne faut pas qu’il souffre, il doit être épanoui »
Et le foie gras, à la ferme Lafenêtre, c’est la locomotive de la production. Produit du terroir par excellence, symbole de gastronomie et d’art de vivre, la fabrication de ce met de choix est restée une activité artisanale. Au moment de la découpe, la sélection est sévère : le foie ne doit pas être trop gros, d’une jolie couleur homogène, ferme et souple à la fois. « Pour bien le choisir, on doit pouvoir y poser le doigt en laissant une trace sans l’enfoncer », explique Julien Lafenêtre. Ensuite, c’est affaire de cuisine. Dans la conserverie, c’est Valérie, la mère, qui officie. Foie gras entier, mi-cuit, parfumé aux figues ou au piment d’Espelette, elle fait des merveilles avec peu d’ingrédients, des recettes simples et sans artifices. Les plus gourmands apprécieront aussi le confit de canard, les saucisses, l’axoa, ou les cailles fourrées, toujours réalisés avec le même souci d’authenticité. Le laboratoire bouillonne et les canards fermiers livrent alors leur plus belle partition.
Démarche environnementale
Julien Lafenêtre savoure cet équilibre entre tradition et innovation. Son bac +5 en poche, il est revenu à la ferme avec des désirs d’excellence.
« Ce qui nous motive, c’est d’amener le produit le plus loin possible. Des nouvelles recettes on en a plein la tête. On fait des essais, des dégustations, on appelle les amis, on appelle la famille, on goûte, on critique, et quand on trouve que c’est top, on le sort à la vente.»
La vente, c’est en direct à la ferme depuis 20 ans, mais aussi sur les marchés de la côte basque en été, puis sur les foires un peu partout en France avant Noël. Le jeune éleveur dit que c’est là qu’il trouve sa motivation. « Le client qui revient, qui dit que c’est bon, j’adore ça. C’est notre plus belle médaille, ça vaut toutes les récompenses.»
Et les gourmets se montrent attentifs à ce qu’ils consomment. « Les visites sont de plus en plus nombreuses, on voit que les gens sont contents de savoir comment ça se passe.» Un intérêt qui ravit la famille Lafenêtre. Engagés dans une démarche environnementale sur l’exploitation, ils en profitent pour expliquer les derniers aménagements : bâtiments en bois pour une meilleure isolation, panneaux photovoltaïques, traitement des eaux usées par lagunage, etc. Une approche fondée sur le respect du patrimoine qu’ils ont reçu en héritage et qu’ils aspirent à partager avec le plus grand nombre.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.