Banca, banco!
Par Pierre Hivernat
Force est de vous épargner la trop longue liste de chefs étoilés qui cuisinent la truite de Banka. Le bestiau peut vous avoisiner les 5 kilos après quatre ans et demi passés dans une eau dont la transparence n’a d’égal que le taux d’oxygène exceptionnel. 50 ans que la famille Goicoechea améliore le modèle et allonge la file d’attente des aficionados. Voyage dans les eaux d’un poisson élevé en plein air.
Pour ceux qui connaissent la tête du bonhomme, la photo d’Alain Ducasse qui trône au milieu de la boutique entouré de la famille Goicoechea au grand complet ne peut vous échapper. Après la folie du saumon à toutes les sauces, surtout celles en eau trouble, les chefs se sont rués sur un poisson d’une toute autre noblesse et l’ont trouvé dans le village de Banca, 336 habitants, sans les truites, à 5 kilomètres de la frontière espagnole.
Route en lacets comme il se doit dans les Pyrénées, arrivée en épingle à cheveux et décente dans la vallée où se niche la ferme aquacole. Accueil par Peio, fils de Michel, lui-même fils de Jean-Baptiste, lui même fils d’un dieu des bricoleurs de géni ou de Saint Victorien, patron des commerçants. Il y en a comme ça qui ont le duende, la baraka, le goût du risque, le sens de la marche du temps et du monde.
Quand Jean-Baptiste a fui les sbires de Franco pour vendre de la céramique espagnole avec sa camionnette de douzième main, il avait déjà le sens de la truite, car pécheur et chasseur de première bourre et, à l’époque, de première nécessité. Comment est-il tombé sur ce terrain à vendre qui abritait la source d’eau Arpéa qui alimentait le moulin de Banka ? On ne sait pas très bien.
Toujours est-il qu’il l’achète avec une idée en tête : élever des poissons. Rappelons que nous sommes en 1967 et que le type devait sérieusement passer pour l’illuminé du village. De l’eau suroxygénée à la truite surdimensionnée, il n’y a pas qu’une brasse, et Jean-Baptiste, qui n’affiche aucun diplôme d’ingénieur connu, construit avec ses petites mains une série de bassins en étages en utilisant la déclivité naturelle du terrain.
Aujourd’hui encore, de nombreux professionnels visitent l’installation pour s’en inspirer et avouons humblement que, pour un néophyte, la sophistication du système est époustouflante. La petite truite va commencer sa vie dans l’un des appartements aéré et ensoleillé du haut et quatre ans et demi après se retrouver tout en bas, près de la case sachets sous vide. C’est l’une des clefs de la qualité que souligne Peio. « La truite est extrêmement sensible à son espace vital. Au moindre cas de surpopulation, des maladies se développent et se transmettent, c’est donc l’un des points névralgiques de la qualité de l’élevage. »
Son père Michel hérite donc de ce matériel parfait, mais pas des outils de développement commerciaux. Car, comme nous l’explique Peio, « à l’époque,quand il va voir des chefs pour leur vendre des truites, la plupart ne le reçoive même pas, le produit fait un peu pauvre et n’inspire pas le gastronome. On préfère le saumon ou les poissons de mer. Mais mon père passait son temps à batailler, un peu partout en Europe et il a réussi à maintenir l’entreprise à flot. »
Peio comprend que la visite de l’installation emporte toujours les sceptiques ou les incrédules. Il faut voir pour comprendre, goûter pour être convaincu. L’apport Peio se traduit aujourd’hui par un chiffre : 45.000 personnes passent désormais dans l’année aux anciens moulins et pas seulement pour la balade, mais pour visiter un véritable espace pédagogique mis en place en 2010 et qui enchante petits et grands.
Mais ce qui enchante le plus, c’est évidemment le goût de ce poisson, dû, bien entendu, à la qualité de l’eau, mais aussi à la nourriture bio composée notamment de crustacés et d’insectes, un mélange produit en Bretagne, trois fois plus cher qu’une farine industrielle, mais qui, au bout de quatre ans a un effet bœuf sur les papilles, fusse l’expression peu aquacole.
A poursuivre sa visite, on a comme l’impression d’une certaine saturation. Peio confirme. « Aujourd’hui, on a des chinois qui viennent nous voir pour qu’on les aide à produire l’équivalent de la truite de Banka en Chine ! Mais on ne veut pas développer l’entreprise de ce côté là. En revanche on a travaillé avec les meilleurs tanneurs qui opèrent pour Vuitton ou Hermès et d’ailleurs, les deux Maisons sont venues nous voir pour produire sacs, portefeuilles, objets divers en peau de truite. Le rendu, avec les truites arc-en-ciel ou albinos est magnifique. Finalement, on fait fabriquer et on commercialise nous même. »
La famille Goicoechea n’a peur de rien et invente encore, Jean-Baptiste et ses saints doivent être fiers.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.
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Michel GoicoecheaFermier aquacole
Truite de Banka
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