Le cousin du Tarbais
Par Sonia Moumen
Un agréable vallon, un peu de forêt, plus loin un champ de haricot-maïs et encore plus loin une immense plantation de kiwis comme un océan de verdure qui déferlerait par vagues ondulantes. On est en Béarn, à quelques kilomètres d’Orthez. Joël Peube, un grand garçon par la taille comme par l’âge, les yeux plissés et le visage buriné par le grand air, accueille avec chaleur comme si vous étiez une vieille connaissance revenue d’une contrée lointaine.
Et en matière de contrées lointaines, il en connaît un rayon, lui qui a eu une vie de globe-trotter à travers le  vaste monde avant de venir se fixer dans ce petit coin béarnais.

« Ma vie c’est un roman. L’agriculture, mon rêve de jeunesse. J’ai travaillé dans l’hôtellerie de luxe avant.»

Laquelle hôtellerie de luxe lui a ouvert un passeport pour un tour du monde des îles et du soleil « J’étais un mercenaire et comme j’étais célibataire, on m’envoyait toujours à l’étranger » se souvient Joël « mon premier poste, j’avais 21 ans, on m’a envoyé à Tahiti. Là-bas, tu n’as pas besoin de travailler pour vivre. Il n’y avait que des jolies filles. J’ai choisi de vivre à la tahitienne. »

Entre tour du monde des palaces et appel de la terre

Le regard s’échappe un peu et puis l’agriculteur béarnais reprend le dessus « Tahiti, c’est un pays de Cocagne, tu plantes n’importe quoi, ça pousse ! ». Il y restera huit ans, non pas à faire pousser fruits et légumes mais à travailler dans l’hôtel haut de gamme d’une grande chaîne. Suivent la Sierra Leone, la Guinée, le Maroc, Bora Bora, Moorea. À l’entendre égrainer ces destinations de sable blond et d’eau cristalline, on se demande ce qui a bien pu le pousser à s’installer dans les collines béarnaises, si ce n’est réaliser enfin son vieux rêve d’enfant. La décision prise, il rentre en France et en 1987, Joël lance son exploitation avec l’un de ses frères. « Pour devenir agriculteur, j’ai repris une formation. Heureusement car intellectuellement dans les îles, tu te scléroses. Je ne parlais plus que 200 mots de français ! La conversation des expatriés, c’est un peu court : le fric, le cul, la plage… La formation m’a remis les neurones en place !  »

L’appel de la terre

Les deux frères se lancent dans le kiwi « un produit nouveau, facile, à l’époque il n’y avait pas de maladie et pas de concurrence. » Mais l’agriculture est un sacré fil à la patte pour un homme comme Joël et réaliser son vieux rêve a un coût : il n’est plus question pour le globe-trotter de partir loin. Alors, comme le tourisme lui manque, avec la complicité de son frère, il se débrouille pour concilier agriculture et hôtellerie. Durant 13 ans, il passe une partie de l’année à faire le maître d’hôtel à La Croix Valmer dans la baie de Cavalaire-sur-Mer, à mi-chemin entre Le Lavandou et Saint-Tropez.

« Mon but, ça a toujours été d’avoir ma propriété agricole. Je ne pouvais pas prévoir que j’allais prendre goût à cette vie de voyages » tente-t-il de s’excuser, comme s’il percevait l’incongruité de faire coexister deux métiers à première vue aussi peu compatibles. Pour résumer cette période de sa vie, Joël n’a pas besoin de long discours. Un grand sourire, les yeux qui brillent : « c’était top ! » Le décès prématuré de son frère l’oblige pourtant à mettre fin à sa schizophrénie professionnelle, même s’il avoue avoir hésité -« jusqu’au pied de l’avion » – à partir pour une belle fonction dans un palace australien. Sa mère Solange, jamais bien loin, puisque Joël et elle vivent sous le même toit, hausse les épaules comme si le rêve australien n’était là que pour amuser la galerie « toi, en tête, tu n’avais que la terre, la terre, la terre. Avec mon mari, on en était malades qu’il devienne agriculteur. Mon mari était fils d’agriculteur, il savait ce que c’était .»

La vie en vert : entre kiwis et haricots maïs

À partir de 2005, Joël Peube renonce donc à sa double vie et pour se concentrer sur son exploitation qu’il fait évoluer au gré de l’offre, de la demande, du gel, de la sécheresse et de ses envies. Aujourd’hui il compte quelques vaches bazadaises « pour le plaisir » et pour entretenir ses « pentes un peu trop pentues, j’ai passé l’âge de jouer les cascadeurs avec mon tracteur » et s’est concentré sur ses kiwis et son haricot maïs. Ce haricot venu d’Amérique du Sud et qui prend le maïs pour tuteur, Joël Peube l’a débuté en 2010. Et il l’aime tout simplement. À peine se plaint-il un tantinet « C’est sûr que le haricot-maïs, c’est joli sur les photos, mais côté rendement… ».

Car si Joël Peube a le verbe haut et l’humour chevillé au corps, il ne dédaigne pas la complainte dont il s’excuse d’un air patelin presque immédiatement : « un paysan qui ne se plaint pas, n’est pas un paysan. » À son âge, Joël Peube assumerait-il enfin et à 100% de n’être qu’agriculteur ? Définitivement terminés le tourisme et la restauration de luxe ? Pas tout à fait car s’il n’est pas en bio – « je serais plus jeune, je l’aurais fait »- , il défend une agriculture raisonnée « après mes années dans la restauration, jamais je ne vendrais à mes clients un produit que je ne mangerais pas moi-même ». Le luxe, chez Joël, c’est à présent dans ses champs qu’il le trouve et dans nos assiettes qu’il le partage.

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes

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